La Ressourcerie du Cinéma : l’envers du décor
La Ressourcerie du Cinéma injecte de l’économie circulaire dans le 7e art. Pour ce faire, elle sauve des éléments de décors de l’enfouissement ou de l’incinération et les propose au réemploi, à la location ou à l’achat. Une initiative aussi salvatrice que titanesque – « une dinguerie » de l’aveu même de son cofondateur – à l’heure de l’urgence climatique.
Les chevilles ouvrières de la Ressourcerie du Cinéma, Karine d’Orlan de Polignac et Jean-Roch Bonnin, ne renieraient pas le propos d’Oscar Wilde : « La sagesse c’est d’avoir des rêves suffisamment grands pour ne pas les perdre de vue quand on les poursuit ». Et le moins que l’on puisse dire de leur rêve c’est qu’ils l’ont choisi grand, très grand : Karine et Jean-Roch entendent convertir le cinéma à l’économie circulaire avec, à terme, la quête du zéro déchet. Une gageure tant cette industrie a pris l’habitude – contraintes de temps et d’argent obligent – de faire passer ses décors directement du plateau de tournage à la benne. Une hérésie environnementale héritée des années 80 où la baisse du coût des matériaux et la hausse du foncier a poussé les studios à ne plus stocker ses décors comme ils le faisaient jusqu’alors. Résultat : 15 tonnes de déchets, en moyenne, par long métrage. Et ce n’est pas notre boulimie de contenus audiovisuels, dont atteste le succès des plateformes de streaming ou de YouTube, qui freinera cette tendance. Après avoir rappelé que « l’Accord de Paris exige de tous les secteurs (…) une réduction des gaz à effet de serre», le collectif Ecoprod évalue l’impact annuel du secteur audiovisuel (incluant la distribution de vidéos en streaming, le cinéma, la publicité, la télévision, l’archivage et les projections) à 1,7 million de tonnes équivalent carbone. Soit ce qu’émettent en moyenne 1,7 million de Français chaque année pour chauffer leur foyer.
Changement de paradigme
Cesser de jeter des matériaux – utilisés 2 ou 3 semaines tout au plus – et les proposer au réemploi tombe sous le sens à l’heure où les alertes sur l’épuisement des ressources se multiplient et où les incendies dévastent nos forêts, été après été. À tel point que l’on pourrait se demander pourquoi ne pas y avoir pensé plus tôt. « Éco Déco y pense depuis au moins 10 ans » corrige Jean-Roch Bonnin. « Ce collectif de décorateurs mène une réflexion pour trouver des matériaux et des procédés de fabrication plus vertueux. L’idée de ressourcerie a très vite émergé, mais chacun étant occupé par sa propre activité, nous ne trouvions pas le temps de la créer. À la suite d’un accident de parcours, j’ai dû abandonner mon métier d’accessoiriste et me reconvertir. Ma sensibilité à l’écologie étant connue, on m’a proposé de m’occuper de la Ressourcerie du Cinéma ». Après une première installation à Bagnolet, la Ressourcerie doit pousser les murs. Elle investit Mozinor et multiplie sa surface par 3.
Ali Baba
Les 1200 m² de ce bric-à-brac alibabesque abritent des fenêtres, des portes, des revêtements de sol, mais aussi des cafetières, la baignoire d’Isabelle Adjani dans Mascarade, des colonnes du dernier opus d’Astérix, le monastère de la 3e saison de Family Business… Le lieu est fréquenté par des décorateurs de cinéma, mais aussi par des artisans du BTP ou encore des architectes d’intérieur. Un escape game ou une fourrière se sont également fournis ici. Le défi de la Ressourcerie est de trouver des flux de sortie : « On y réfléchit chaque jour – indique Karine d’Orlan de Polignac. Des entrepôts comme celui-là nous pourrions en remplir à l’infini. La problématique, c’est de les vider ». Ce qui implique un gros travail de tri, de prise de cotes et de catalogage, un sujet sur lequel se penche l’association avec le concours d’informaticiens. La Ressourcerie du Cinéma réfléchit également à transformer les matériaux récupérés. Un partenariat avec le Campus des métiers et des qualifications construction durable et éco-réhabilitation de Nouvelle-Aquitaine vise à convertir de la moquette en isolant phonique. Une autre réflexion est menée pour transformer les feuilles décors – ces structures bois qui servent de matrices aux décors – en cloisons acoustiques ou en séparateurs de bureaux.
Le sens de l’histoire
Le rêve aurait-il été choisi trop grand ? « Si cette pensée peut me traverser l’esprit certains jours, ce n’est que de façon très fugace » indique Jean-Roch. « Le projet est super. Nous salarions aujourd’hui 5 personnes. Nous avons aussi reçu de gros soutiens en investissement de la région Île-de-France, du CNC (Centre National du Cinéma), de l’Adème et de la Banque des territoires. Enfin, nous avons constaté, lors des ateliers de sensibilisation à l’écoconception que nous avons animé à la Fémis et à l’école de cinéma française, que l’idée d’économie circulaire est très bien accueillie par les jeunes générations ». Et s’il faut encore un peu de temps pour affiner le modèle économique, Karine ne s’alarme pas : « Nous cherchons à mettre sur pied un nouveau service pour un nouveau monde. Il est normal que cela ne se fasse pas en un jour ».
Merci à Mathieu Génon de Reporterre pour les photos