Label Gamelle : la recette de l’insertion
C’est au cœur du 2e confinement que les casseroles de Label Gamelle ont commencé à frémir à Mozinor. Christine Merckelbagh et Vincent Dautry, les fondateurs de cette atypique coopérative d’insertion professionnelle, y mitonnent des repas à destination – notamment – de centres d’hébergement d’urgence. Un an leur aura suffi à créer 25 emplois et à passer de 80 repas/jour à 700. La belle histoire.
Christine Merckelbagh a des tripes et un zeste de folie. Il n’en fallait pas moins pour tourner le dos – à 45 ans – à une rémunératrice carrière de cadre dirigeante dans les assurances pour rejoindre l’école hôtelière Ferrandi. « À un moment de ma vie, j’ai souhaité allier mes convictions à ce que j’aimais faire : la cuisine ». En formation, elle apprête, assaisonne, débride, barde… et obtient haut la main son CAP. « J’en suis très fière », confie-t-elle en exhibant sa veste de cuisine blanche brodée à son nom et à celui de la prestigieuse école parisienne, devenue centenaire en 2020. La même année, Label Gamelle s’installait au 2e étage de Mozinor pour mitonner à l’attention des plus fragiles et des plus précaires d’entre nous, ceux qui vivent en centres d’hébergement d’urgence. La France en était alors à son 2e confinement. « Ce n’était pas forcément le meilleur moment pour démarrer une activité mais c’était aussi une période où les gens avaient tout particulièrement besoin de soutien » précise notre interlocutrice qui se reconnaît volontiers un penchant kamikaze. « Comment se lancer dans une telle aventure autrement ? Et pourtant on ne cesse de croître. Le premier jour nous étions 6 pour faire 84 repas. Aujourd’hui, nous sommes 20 et nous faisons chaque jour 700 repas, sans compter les buffets. Nous en avons fait par exemple pour la Fête de l’Huma, pour l’Office public de l’habitat montreuillois ou encore pour le Forum Mondial 3Zéro au palais Brongniart ».
Kamikaze
Du kamikaze, le chef étoilé et cofondateur de Label Gamelle, Vincent Dautry, possède aussi quelques gènes. Suffisamment en tout cas pour renoncer au prestige des grandes tables parisiennes où il a longtemps œuvré – Lasserre, George V, Apicius… – ainsi qu’à son poste de professeur chez Ferrandi auquel il doit sa rencontre avec Christine Merckelbagh. Christine et Vincent ont tissé une relation qu’on devine faite de respect mutuel, de complicité et de valeurs communes. Convaincus que « ce n’est pas parce qu’on est pauvre qu’on doit mal manger » – comme le martèle leur slogan – les deux voient la cuisine comme un vecteur de dignité humaine et savent que manger va au-delà d’un apport de glucides et de protéines à son organisme. Label Gamelle a donc fait le choix de la saveur et du 100% maison. « Quand on vit dans un centre d’hébergement à attendre ses papiers toute la journée, il faut penser à s’accorder du plaisir en mangeant. Je ne suis pas certaine qu’arriver devant une assiette – souvent la seule de la journée – sans goût et profondément ennuyeuse soit très bon pour le mental et pour tout le reste » indique Christine.
Gratin politique
« Tout le reste », ils s’en occupent aussi. Forte de son agrément Esus (Entreprise Solidaire d’Utilité Sociale), Label Gamelle accompagne aussi ses salariés en insertion vers l’autonomie. Christine Merckelbagh est très fière des cinq « sorties positives » de l’entreprise. « Cinq anciens salariés sont sortis de la précarité en trouvant un emploi stable à l’extérieur. Sept ont aussi leur propre appartement. En arrivant chez nous, tous étaient en centre d’hébergement d’urgence ». Pour mener ainsi ses salariés vers l’autonomie, l’aide de Label Gamelle est polymorphe : de la garde d’enfant à l’initiation informatique en passant par l’apprentissage du français, l’inscription à la sécurité sociale ou le passage du permis de conduire, l’entreprise est sur tous les fronts… Et ça marche. À tel point que son action a été remarquée, sur le chantier des JO 2024, par le président de la République lui-même, Emmanuel Macron, accompagné, notamment, de son Premier ministre, Jean Castex, de sa ministre du travail, Élisabeth Borne, de la maire de Paris, Anne Hidalgo, ou encore du président du conseil départemental de la Seine-Saint-Denis, Stéphane Troussel… Label Gamelle n’avait pas encore soufflé sa première bougie ! Christine Merckelbagh voit dans cette visite de haut rang une reconnaissance et un message très fort d’humanisme et de tolérance.
Tour de Babel
Très fière des 12 nationalités qu’abritent ses locaux – « un vrai village olympique » – l’entrepreneure, particulièrement sensible au vivre-ensemble montreuillois, se réjouit d’avoir pu s’installer à Mozinor. « Non seulement le bâtiment est exceptionnel mais nos voisins le sont aussi. On a, par exemple, fait du troc avec Prestimage qui a imprimé nos affiches contre des repas. Erwan Boulloud ou Carrafont nous commandent aussi des buffets. »
Label Gamelle, dont la cuisine peut atteindre une capacité de 1500 à 2000 repas/jour, vante aussi la magie de la terrasse de Mozinor. L’équipe s’y verrait bien installer de grands bacs de terreau pour y faire pousser des herbes aromatiques et répandre ainsi, sur les hauteurs de Montreuil, des senteurs de menthe, de basilic ou d’estragon.